Figure majeure de la littérature française du XXIe siècle, Georges Perec est un virtuose de la langue française qui déborde de créativité. Membre emblématique de l’Oulipo (mouvement littéraire abordé plus tard dans l’article), il révolutionne l’art d’écrire en transformant la contrainte en liberté créative. De ses mots croisés hebdomadaires à ses romans lipogrammatiques, en passant par ses jeux, Perec a marqué son époque par sa capacité unique à jongler avec les mots et à repousser les limites du langage.
Parcours biographiques
C’est dans un contexte particulier, avec une montée du nazisme et une menace antisémite en Europe, que Georges Perec, de son vrai nom Georges Peretz, est né le 7 mars 1936 à Paris. Sa famille juive et d’origine polonaise est composée de son père Icek Judko Peretz et de sa mère Cyrla Schulewski.
Durant son enfance, Perec a eu plusieurs traumatismes : son père est mort au combat en 1940 et sa mère est déportée et assassinée à Auschwitz en 1943. Il est alors confié, à l’âge de 6 ans, à sa famille paternelle, puis est placé dans un pensionnat catholique. Cet arrachement sera une blessure fondatrice de son œuvre et de son identité.
Georges Perec a commencé ses études au lycée Henri IV à Paris où il a obtenu son baccalauréat. Il poursuit ensuite des études de psychologie et de sociologie à la Sorbonne. En parallèle, il effectue son service militaire à Pau dans un régiment de parachutistes.
Œuvres majeures
Perec est reconnu par son écriture romanesque, autobiographique, sociologique et ludique. Il a principalement écrit des romans, mais aussi des poèmes et des pièces de théâtre. Nous allons nous concentrer sur ses romans.
Les choses
Il s’agit ici de son premier roman publié pour lequel il reçoit le prix Renaudot en 1965. On y suit un jeune couple, vivant à Paris dans les années 1960, obsédé par la consommation et le désir de posséder des objets de luxe.
Le roman traite de leur quête incessante de biens matériels et comment celle-ci influence leur vie et leur bonheur. Dans un premier temps, le couple est pris dans le tourbillon de la consommation. Ensuite, ils s’installent à Tunis, où ils tentent de fuir leur vie, mais se retrouvent confrontés à un vide existentiel.
Dans ce livre, Perec décrit les objets et l’environnement dans les moindres détails ainsi que le comportement et les émotions des personnages.
La disparition
Perec publie ensuite « La disparition » en 1969. Ce livre est particulièrement remarquable, car il l’écrit sans utiliser la lettre « e », qui est pourtant la voyelle la plus courante de la langue française.
L’histoire suit la disparition du personnage principal et les efforts de ses amis pour le retrouver. Au fur et à mesure des enquêtes, ils se rendent également compte que la lettre « e » a disparu de leur monde.
Ce texte fait partie du mouvement littéraire, appelé oulipisme, fondé en 1960 par Raymond Queneau et François Le Lionnais. L’oulipo est un groupe littéraire qui explore des nouvelles pratiques en utilisant des contraintes formelles ou mathématiques.
La vie mode d’emploi
Publié en 1978, cet ouvrage est considéré comme son chef-d’œuvre. Il a remporté le prix Médicis la même année. Le roman est articulé tel un puzzle, décrivant les habitants d’un immeuble. Chaque chapitre se concentre sur une pièce du bâtiment, révélant les histoires des occupants à un moment précis, le 23 juin 1975. Le personnage central souhaite peindre des aquarelles de ports, les transformer en puzzles, puis les reconstituer et les détruire.
Ici, Perec utilise encore des contraintes littéraires pour structurer son œuvre. Il rédige des descriptions détaillées, des listes, des récits entrecroisés pour créer une mosaïque.
W ou le souvenir d’enfance
Enfin, cet ouvrage, de 1975, alterne entre deux récits : l’un est une fiction, l’autre une autobiographie.
La première partie est tournée autour d’un homme qui reçoit une lettre l’invitant à enquêter sur une personne disparue ayant le même nom que lui. La seconde partie explore les souvenirs d’enfance de Perec, marqué par la perte de ses parents pendant la Seconde Guerre mondiale.
Perec et les jeux de mots
Les contraintes comme matière créative
Pour écrire , Perec utilise le concept d’écriture à contraintes. Il s’agit d’une technique littéraire où il faut suivre des règles ou des limites spécifiques lors de l’élaboration d’un texte. Ces contraintes, l’auteur se les impose lui-même. Cette technique est déployée pour stimuler la créativité et découvrir de nouvelles formes d’expression.
Le groupe littéraire l’Oulipo est connu pour travailler les textes ou les mathématiques avec des contraintes. Les membres pensent que les contraintes peuvent libérer l’imagination et permettent de révéler de nouvelles possibilités.
Perec a rejoint ce groupe en 1967 et est devenu un des membres les plus emblématiques. Il a exploré et expérimenté diverses contraintes.
Techniques emblématiques
Certaines contraintes ont été mises en avant par Perec, on retrouve le lipogramme, les palindromes ou encore les anagrammes.
Le lipogramme est une méthode qui vise à exclure volontairement une lettre d’un texte. On repère cette contrainte dans son roman « La Disparition » écrit sans la lettre « e ».
Les palindromes sont une technique qui crée des phrases se lisant identiquement dans les deux sens. Perec joue alors de la symétrie et la répétition linguistique.
Enfin, pour les anagrammes, ce sont des mots ou des phrases formés en réarrangeant et réorganisant les lettres d’un autre mot ou d’une autre phrase. Ils sont souvent employés dans les jeux de mots ou puzzles.
Quel est son rapport aux mots croisés ?
Perec est verbicruciste régulier, pour le magazine « Le Point », durant quelques années. Il crée une démarche novatrice des définitions. En effet, il emploie des références culturelles et littéraires en les adaptant à son style.
Son écriture est reconnaissable entre tous. Perec utilise des définitions littéraires et poétiques pour concevoir des jeux de mots sophistiqués. Ses références culturelles sont pointues. Pour construire ses grilles, il a une approche plutôt mathématique avec une symétrie.
Ce lien aux jeux de mots influence également son œuvre littéraire. Ses livres sont organisés de façon similaire aux grilles de mots croisés en s’imposant des contraintes et des connexions entre chaque élément. Perec est connu pour la précision du vocabulaire, dans chaque grille, les définitions sont exactes et les mots ont un double sens. En effet, Perec recourt à différentes techniques pour la fabrication d’une grille de mots croisés. Il manie des anagrammes, joue sur les homonymes, utilise des références historiques ou des citations. Il part du principe que dans une grille, chaque mot compte.
Héritage et influence
Aujourd’hui encore, Perec influence la littérature contemporaine, il permet le renouvellement des formes narratives. Il inspire les écrivains dans la rédaction de romans fragmentés et de la contrainte créative. Son influence est toujours présent et inspire les auteurs dans une nouvelle approche de l’écriture.
Son héritage est présent également dans les pratiques d’écriture. Son style consiste à développer de nouveaux exercices de style, il existe des ateliers d’écriture pour utiliser ses méthodes et comprendre les contraintes. On retrouve des études universitaires dédiées à sa manière d’écrire, des thèses ou des recherches sur les différentes œuvres.
En plus d’avoir un impact académique, ses œuvres sont adaptées en pièces de théâtre, en films ou documentaires. Il joue encore un rôle sur les jeux de mots avec une inspiration sur les mots croisés, sur la création des grilles et l’utilisation de variantes ou contraintes.
L’héritage de Georges Perec résonne encore dans le monde littéraire et bien au-delà. Son génie unique, alliant rigueur mathématique et créativité littéraire, continue d’inspirer écrivains, artistes et amateurs de jeux de mots. Plus qu’un simple auteur, il demeure une référence dans l’art de la contrainte créative et des jeux linguistiques. Son influence sur la littérature contemporaine et sa contribution aux mots croisés témoignent de la pérennité de son œuvre et de sa vision novatrice de l’écriture.