Will Shortz, né le 26 août 1952 à Crawfordsville, Indiana, est sans conteste l’une des figures majeures du monde des puzzles et des mots-croisés contemporains. Depuis 1993, il dirige la rubrique des mots-croisés du The New York Times (NYT), faisant de lui le quatrième — et depuis longtemps le plus influent — « puzzlemaster » du quotidien américain. Mais avant d’en arriver là, son parcours est singulier : détenteur d’un diplôme unique en énigmatologie — une spécialité qu’il a lui-même construite à l’Indiana University Bloomington en 1974 — il incarne à la fois le théoricien et l’artisan des jeux de lettres. Présentation.
Un parcours hors norme : de l’Indiana aux puzzles les plus prestigieux
Jeunesse et formation
Will Shortz grandit dans une ferme d’élevage de purs-sang arabes, non loin de Crawfordsville, dans l’Indiana. Très jeune, il se passionne pour les casse-têtes : à 14 ans, il vend son premier puzzle professionnel, et dès 16 ans, il collabore avec des magazines spécialisés.
À l’université, convaincu que le puzzle peut être envisagé comme une discipline sérieuse, il crée son propre cursus : l’énigmatologie, combinant linguistique, logique, mathématiques et psychologie. Un choix audacieux : aujourd’hui encore, il demeure le seul diplômé universitaire connu dans ce domaine. Après un passage par la faculté de droit de l’University of Virginia School of Law (promotion 1977), Shortz choisit de ne pas passer l’examen du barreau (trop peu créatif) et décide de consacrer sa vie aux puzzles.
Premiers pas dans le monde des puzzles
Son premier gros rôle : rédacteur puis éditeur pendant 15 ans pour le magazine Games magazine, une revue de jeux de réflexion et d’énigmes. Cette expérience façonne sa vision : le puzzle n’est pas seulement un divertissement, mais un art, un équilibre entre logique, culture et plaisir de la découverte. En 1978, animé par cette conviction, il fonde le American Crossword Puzzle Tournament (ACPT), le plus ancien et prestigieux tournoi de mots-croisés aux États-Unis. Quatorze ans plus tard, en 1992, il crée aussi le World Puzzle Championship.
L’ère New York Time : transformer un classique en art vivant
Un nouveau souffle pour la grille historique
Lorsque Shortz succède à l’éditeur précédent en octobre 1993, la grille du New York Time, déjà vénérable institution, évolue. Plutôt que d’abandonner la tradition, il l’enrichit. Il ouvre la porte à une nouvelle génération de verbicrucistes, favorise les références modernes (pop-culture, télévision, langage contemporain), et introduit des indices plus ludiques, parfois espiègles, entretenant l’équilibre entre défi et accessibilité.
Il modifie aussi la structure rédactionnelle : jusqu’à lui, de nombreux contributeurs restaient anonymes. Avec Shortz, les auteurs signent leurs grilles, un signe de respect pour leur travail.
L’influence d’un éditeur-maître
Pendant plus de trois décennies, Shortz a façonné l’identité du puzzle new-yorkais. Grâce à lui, le mot-croisé a su rester vivant, pertinent, capable de séduire des générations variées : des passionnés de vocabulaire aux amateurs de culture populaire. Mais au-delà des mots-croisés, il est aussi l’animateur, depuis 1987, du segment « Sunday Puzzle » dans l’émission Weekend Edition Sunday sur la radio américaine NPR, diffuseur et promoteur engagé des jeux de lettres.
Un parcours d’influence, mais aussi de responsabilités
L’équilibre entre tradition et modernité
Will Shortz n’a jamais fait des jeux un objet figé. Par son approche, il les a modernisés, les a ouverts à la pop culture, a intégré des références actuelles, rendant l’exercice plus vivant, plus proche de son époque.
Pourtant, cette modernisation n’a pas supprimé l’exigence : la clarté, la justesse des définitions, l’équilibre entre difficulté et plaisir, sont restées des priorités. Il reste fidèle à l’esprit avec lequel il a abordé sa carrière dès son plus jeune âge.
Un rôle de passeur et d’éducateur de la langue et de la culture
En tant qu’éditeur et animateur, Shortz joue le rôle d’un médiateur entre la richesse de la langue, la créativité des auteurs, et le grand public. Il contribue à ce que les mots croisés restent un terrain de découverte intellectuelle, un espace d’apprentissage, de réflexion, de curiosité.
Ses tournées de mots croisés, son œuvre éditoriale, ses concours : tout participe à maintenir vivante une tradition, tout en la renouvelant. Il ne se contente pas de créer des grilles ; il façonne une communauté, une culture du jeu de lettres.
Héritage et influence aujourd’hui
Au-delà des murs du New York Times, des milliers de verbicrucistes — amateurs, passionnés, professionnels — s’inspirent de ce qu’il incarne : rigueur, sens du mot juste, amour de la langue, curiosité. Beaucoup des grilles publiées aujourd’hui, les tournois, les publications, rendent hommage indirectement à la vision de Will Shortz.
Le fait qu’il soit le seul au monde à détenir un diplôme d’énigmatologie renforce la dimension presque « savante » qu’il a donné aux mots croisés, non plus simple loisir, mais champ d’étude, d’art, de partage.
À chaque nouvelle grille, chaque nouveau défi, son héritage se perpétue : vivant, renouvelé, et toujours aussi stimulant pour l’esprit.
Conclusion
Will Shortz a transformé une passion d’enfant en un engagement de vie. À travers ses grilles, ses concours, ses émissions, il a redonné aux mots croisés leurs lettres de noblesse, les a modernisés, ouverts, partagés. Il incarne le pont entre tradition et modernité, entre le solitaire du mot et la communauté du joueur. En ce sens, il est bien plus qu’un simple éditeur : il est l’un des grands architectes modernes du plaisir intellectuel, celui qui prouve à chaque croisement, à chaque définition que les mots peuvent être légers et profonds, simples et exigeants.

